Service citoyen: la milice suisse réinventée

Afin de faire face aux nouveaux défis socio-économiques, pour redonner sens à une obligation générale de servir et pour respecter l’égalité des sexes, réinventons la milice suisse. La solution: un service citoyen, obligatoire pour toute citoyenne et citoyen suisse, basé sur le libre choix, tout en maintenant pour l’armée une sécurité quant à ses effectifs.

Le peuple suisse s’est prononcé: plébiscite de l’obligation de servir, mais refus des nouveaux avions de combats. Selon le sondage annuel sur la sécurité mené par l’EPFZ, 80% de la population suisse considère que l’armée est nécessaire et 61% soutiennent le système de milice. Si l’on ne peut que féliciter la confiance exprimée dans la milice suisse, il serait faux de penser que le système n’a pas besoin de se moderniser pour répondre aux changements socio-politiques du XXIe siècle. Les effectifs des forces armées n’ont cessé de fondre. Femmes et hommes sont maintenant considérés comme égaux. Et l’émergence de nouveaux défis requiert un renforcement des moyens d’assistance, ainsi que la consolidation des institutions favorisant la cohésion et l’intégration sociale. Le système qui autrefois était en adéquation avec son temps atteint aujourd’hui ses limites.

C’est le choix, et ses conséquences, qui éveillent le sens des responsabilités. L’obligation actuelle de servir se confine à sa ligne historique, l’armée; le service civil et la protection civile ne sont que de rang secondaire. L’effectif militaire, composé de quelque 800’000 hommes dans les années huitante, plafonnera finalement à 100’000 hommes selon le dernier plan en date. Dans une Suisse à plus de huit millions d’habitants; beaucoup d’appelés, peu d’élus. Peut-on encore parler d’une obligation générale de servir, quand moins d’un appelé sur deux accomplit encore effectivement un service militaire? Le service civil, quant à lui, connait un formidable essor. Pourtant, en dépit ou en raison de son succès, le service civil – à ne pas confondre avec la protection du même nom – est délibérément bridé par les Autorités fédérales, et son accès reste procédurier. Pourtant la commission fédérale pour l’enfance et la jeunesse (CFEJ) considère qu’une «arrivée de milliers de nouveaux civilistes ne constituerait pas un problème pour l’économie privée». D’ailleurs, par exemple, l’accès direct au service civil est simplement impossible aux femmes volontaires puisqu’une incorporation préalable dans l’armée est une condition préalable. Nous considérons que chaque citoyen devrait effectuer un service et qu’il revient à chacun de choisir son type de service obligatoire. 

L’intégration des citoyennes! Sans blague. Permettons aux citoyennes de bénéficier, comme leurs compatriotes masculins, de l’expérience enrichissante qu’est le service à sa patrie. L’exclusion des femmes, fondée sur leurs capacités physiques ou leur vulnérabilité supposées ne fait plus de sens, dès lors que chacun serait libre de choisir son activité de service. Quant à l’incontournable maternité, il serait concevable qu’une partie ou la totalité des jours de congé maternité puissent être assimilés à des jours de service. Après tout, les deux puisent à la même source: l’APG.

Une clause de sauvegarde pour rassurer les gris-verts qui craignent de manquer de recrues aptes au service. L’intérêt impératif de défense et de souveraineté territoriale doit garder sa prépondérance: une clause de sauvegarde en faveur de l’armée lui garantirait les effectifs nécessaires. L’armée pourrait donc astreindre des hommes (ou éventuellement aussi des femmes) à accomplir leur service au sein des forces armées si le nombre de volontaires s’avérait trop maigre.

Les domaines d’activités de l’obligation de servir devraient se déployer au-delà de leur confinement actuel. Le Conseil fédéral se penche déjà sur un projet de formation approfondie des civilistes afin d’étendre leurs domaines de compétences. En plus des secteurs reconnus – service social, sauvegarde écologique, santé, l’agriculture et coopération internationale – nombre d’activités d’intérêt public, comme par exemple l’aide et les soins à domicile, le soutien scolaire et de la petite enfance, les tâches auxiliaires de sécurité, l’assistance administrative ou juridique, manquent de forces vives. En outre, hormis le service civil, il serait bienvenu de reconnaître des jours déductibles les services équivalents comme les services du feu, les samaritains ou les mandats communaux déjà pratiqués par certains concitoyens.

En un mot: osons! Le service citoyen permettrait de nous rappeler ce qu’ensemble nous sommes capables d’accomplir. En favorisant la mobilité entre les régions linguistiques et les différents milieux socio-culturels, l’obligation de servir généralisée renforce le lien intergénérationnel et confédéral nécessaire à la cohésion nationale. Les classes sociales se confondent, les générations se rencontrent, les enfants d’immigrés s’intègrent, l’apprentissage d’autres langues se perfectionne: les concitoyens apprennent à connaître leurs réalités respectives et l’espace commun qui les rattachent. Quoi de mieux qu’une communauté unie par l’action et consciente d’elle-même pour renforcer le bien-être de tous?

Paraphes personnels

Jeune lieutenant d’exploration d’infanterie, 30 soldats et 5 sous-officiers sous mes ordres, 19 ans. Nulle part autre qu’à l’armée suisse un jeune citoyen ne se voit confier autant de responsabilités tout en étant encadré de professionnels compétents et exigeants. Je ne dormais pas plus de quatre heures par nuit, étais constamment sous pression et confronté aux défis de direction, d’organisation et d’instruction. Cette tâche hautement stimulante et épuisante m’a ouvert les yeux sur les problèmes que doit résoudre un chef et m’a appris comment me comporter en tant que supérieur pour accomplir au mieux les missions  reçues. En quelque sorte, grâce à l’armée de milice, à 19 ans j’ai eu le droit d’être entraîné comme le sont seulement les participants d’un MBA à 30 ans.

Matthieu Gueissaz, 24 ans, étudiant

A 19 ans, l’école de recrue a été pour moi une extraordinaire expérience de vie. Venant de ce fief reclus du bout du lac Léman, j’ai appris à connaître notre pays dans sa diversité culturelle et territoriale. Cela m’a d’ailleurs décidé à étudier dans le canton bilingue de Fribourg; j’ai mis de l’ordre dans ma vie en général. Les cours de répétition m’ont toutefois déçu; j’ai alors rejoint le service civil, quitte à allonger ma durée de service. Ce choix subséquent en valait la peine: j’ai pu m’investir dans des réalités sociales suisses que je n’aurais probablement jamais côtoyées de si près autrement.

Quentin (Adler), 26 ans, avocat stagiaire

A force d’entendre parler d’égalité, j’ai décidé de me lancer. Egalité de traitement… Egalité des droits… Egalité des devoirs? Pourquoi ne pas prendre les devants pour une fois. Je conviens qu’il reste beaucoup à faire dans ce domaine. Malgré ce fait (et cela bien qu’étant une militariste que peu convaincue), j’ai néanmoins été heureuse de servir en tant que simple soldate) et de montrer qu’une femme pouvait apporter quelque chose de plus à une section.

Noémie Roten, 25 ans, citoyenne et soldate

Né à Genève de parents étrangers, le service militaire me parut la suite naturelle de mon processus d’intégration. Recrue à 19 ans puis lieutenant l’année d’après, cette expérience me plongea physiquement et socialement au cœur de la Suisse, me faisant voyager et tisser des liens d’amitiés des deux côtés de la Sarine, des bords du lac de Neuchâtel jusqu’au fin fond des vallées grisonnes. En tant que jeunes officiers, un haut niveau de discipline physique, morale et intellectuel était attendu de nous. Ce fut autant une leçon d’endurance et de leadership que d’humilité, tout en me permettant d’apprécier les avantages et les inconvénients de notre système actuel. Passant au-delà des clivages sociaux-économiques, religieux et linguistiques, le service obligatoire fut une école de vie unique. Je dis volontiers y être entré Genevois et ressorti Suisse.

Alexander Sorton, 29 ans, étudiant

Maturité en poche, je m’engage en 2005 à servir mon pays. Enthousiaste et motivée, je me vois confrontée au regard des autres, celui de mes supérieurs, et ensuite de mes subordonnés. Un défi personnel des plus enrichissants! Actuellement commandant remplaçant de la compagnie d’exploration 1/1, j’ai toujours un immense plaisir à servir ma patrie plus d’un mois par année. L’organisation de milice est indéniablement un atout et permet de faire un travail précis et efficace dans une excellente ambiance lors des cours de répétition notamment. En outre, selon moi, l’armée suisse, dans son état actuel, ouvre suffisamment de portes aux femmes. Le volontariat doit être maintenu pour elles.

Olivia de Weck, 28 ans, avocate

Je suis entré à l’école de recrues directement après avoir terminé le gymnase, et le changement était radical. L’école de recrues ne m’a pas particulièrement convaincu, mais j’ai tout de même choisi de prendre des responsabilités en suivant la formation d’officier, un choix que je n’ai jamais regretté. Être en charge d’une section d’une cinquantaine de soldats, à 19 ans, a été une expérience incroyable et très formatrice, puisque cela m’a permis de développer des compétences comme le leadership, la planification et la résistance au stress. Après avoir découvert le système des cours de répétition, j’ai choisi de m’orienter vers la justice militaire, qui offre la possibilité de servir en faisant appel à mes connaissances de juriste.

Théo Meylan, 24 ans, étudiant

Cet article est paru dans Libertés neuchâteloises le 3 octobre 2014

Photo: VBS/DDPS, CC BY-NC-ND 3.0 CH

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