Noémie Roten, weibliche Militärjustiz

Après dix ans de service, la jeune femme va officier en tant que juge suppléante dans l’armée. Elle fait partie des quatorze femmes qui ont été récemment nommées par le Conseil fédéral.

Conduire des poids lourds à 18 ans en sillonnant le pays. Mais surtout bousculer les normes et les clichés. C’est ce qui a poussé Noémie Roten à s’engager dans l’armée suisse à l’été 2008. «Je voulais faire une année sabbatique, mais aussi relever un défi physiquement et psychiquement exigeant, avant de passer ma vie derrière un écran d’ordinateur, dit-elle. Lors de mon école de recrues à Drôgnens, j’étais la seule femme de la compagnie. J’ai dû apprendre à m’imposer pour ne pas faire l’objet de traitements de faveur. Sinon, cela rend les rapports difficiles avec le reste de la troupe.» 

Originaire du Valais par son père et de Genève par sa mère, elle est la petite-fille d’un lieutenant-colonel mobilisé durant la Seconde Guerre mondiale. Aujourd’hui, elle partage sa vie avec un officier d’état-major général et il y a aussi des raisons pratiques à son engagement: «Je voulais avoir mon mot à dire lors des conversations en famille et entre amis. L’armée est une thématique omniprésente au bistrot et en politique. Si tu ne connais pas l’institution de l’intérieur, on te fait bien comprendre que tu n’as pas la légitimité requise pour t’exprimer à ce sujet, et encore plus lorsque tu es une femme.» Pour Noémie, c’est clair, militer pour l’égalité passe avant tout par des actes: «J’essaie de mettre en pratique cette vision au quotidien. Si les hommes sont astreints à un service, je me suis dit, pourquoi pas moi?»

Toujours plus de femmes à l’armée 

Aujourd’hui, 1152 femmes sont incorporées volontairement dans l’armée suisse, un chiffre en hausse depuis l’époque où Noémie s’y est engagée. Une promotion de la gent féminine que l’armée revendique. «Les femmes apportent une autre façon de penser et de raisonner», souligne son porte-parole Daniel Reist. En février dernier, quatorze femmes ont été nommées par le Conseil fédéral dans les tribunaux militaires, ce qui a permis de doubler leur nombre. 

C’est dans ce contexte que Noémie a reçu, l’été passé, une lettre l’invitant à s’engager au profit de la justice militaire. «Avant cette missive, je n’étais même pas consciente du fait qu’on pouvait servir comme juge suppléant en tant que simple soldat et non-juriste», observe-t-elle. Après une période d’hésitation, le goût de l’aventure l’emporte à nouveau. «Après une expérience parfois difficile au sein de l’armée, un tel service me donnera peut-être une autre perspective sur cette institution. J’ai parlé avec un ami, lui-même juge suppléant. Sa description de l’immédiateté de la justice, le fait de devoir s’occuper de situations humaines parfois compliquées m’ont séduite.» Une fois encore, l’histoire familiale influence son choix: l’oncle de Noémie est juge, sa mère juriste, son frère et son père avocats. 

Pour un service citoyen universel

Si la gestion des cours de répétition lui complique parfois la vie, la jeune femme a trouvé un employeur plutôt compréhensif. En tant que collaboratrice scientifique du think tank zurichois Avenir Suisse, et aussi en tant que vice-présidente de l’association Servicecitoyen.ch, elle a beaucoup promu l’idée d’un service universel en remplacement de l’actuelle obligation de servir: «Comme membres d’une collectivité, nous avons tous des droits et des devoirs. Un service citoyen universel aurait le mérite de redonner un souffle à l’esprit de milice, aujourd’hui sur le déclin.» 

Décidée à ne pas passer pour une militariste pur jus, Noémie défend néanmoins l’institution: «L’image de l’armée mériterait d’être revalorisée. Elle offre des possibilités d’échanges au sein de la population qui n’existent quasiment pas dans la société civile.» A la liste des régions parcourues, elle ajoute celle des différentes professions rencontrées. «J’ai découvert des gens de tous les horizons, étudiants, charpentiers, ingénieurs, bûcherons…» Grâce à son expérience militaire, Noémie dit avoir acquis «une capacité à m’affirmer dans les cercles les plus masculins de la société, là où d’autres sont plus dans la retenue. Malheureusement, dans le domaine de la recherche, les femmes sont encore sous-représentées.» 

Antoine Harari

Ce portrait est paru dans Le Temps, le 10 avril 2018