«Weg von dieser Leerlauf-Debatte!»

Interview de Noémie Roten par Gregor Szyndler, rédacteur en chef «Le Monde Civil»

Décembre 2019

L’association ServiceCitoyen.ch veut réinventer le système de l’obligation de servir. Sa co-présidente, Noémie Roten, discute avec Gregor Szyndler de l’engagement des citoyennes et citoyens, ainsi que de l’esprit de milice et des avantages d’améliorer le système de conscription.

Si vous deviez promouvoir le Service Citoyen en cinq phrases, que diriez-vous?

Il en va de l’engagement citoyen dans l’État. Nous voulons revitaliser l’esprit de la milice. Avec le service citoyen, la Suisse passe d’une obligation de servir militaire et exclusivement masculine à un engagement de milice pour tous. L’État, c’est nous – nous sommes une communauté de citoyens qui nous engageons et qui nous impliquons dans notre société. lI s’agit d’inclure les femmes et, possiblement, les étrangers.

Pourquoi y a-t-il besoin d’un Service Citoyen?

L’esprit de milice est une caractéristique essentielle du génie politique suisse mais il s’essouffle. Cette culture de la participation directe doit être préservée et ravivée. Le Service Citoyen s’inscrit pleinement dans la tradition suisse et contribue à (re-)valoriser l’engagement civique.

Pourquoi plus d’obligations et de contrainte?

Je ne vois pas cela comme plus d’obligations ou de contrainte. Il s’agit d’un engagement de principe pour tous, mais avec une grande liberté de choix dans la forme de l’engagement. Aujourd’hui, les exigences du marché du travail sont souvent si élevées que de nombreuses personnes qui aimeraient s’engager ne le peuvent pas. Il s’agit de leur offrir un espace protégé pour permettre cet engagement altruiste. Et pour ceux qui s’engagent déjà, le Service Citoyen leur offre une meilleure reconnaissance. Les femmes ne sont pas des citoyennes de seconde zone – [hésite] Mot-clé: «travail bénévole non rémunéré»…

Pourquoi hésitez-vous sur ce mot?

Parce que ça me dérange! C’est un oxymore: «travail bénévole non rémunéré»! Soit c’est du travail, alors il faut le rémunérer. Soit c’est du bénévolat – alors ce n’est pas du «travail» à proprement parler. Ce travail, qui est une énorme plus-value pour la société, n’est pas rémunéré et donc souvent pas suffisamment reconnu parce que c’est comme s’il n’avait pas de «valeur». Il devrait pourtant être reconnu à sa juste valeur comme un engagement, principalement des femmes, en faveur de la collectivité. Si même une fraction de cet engagement déjà existant était institutionalisé dans le cadre d’un Service Citoyen, ce travail recevrait la reconnaissance qu’il mérite.

Mais votre proposition ne se fait-elle pas au détriment des bénévoles volontaires – si dans un parlement municipal certains étaient là dans le cadre du Service Citoyen et d’autres non?

On me demande souvent si le Service Citoyen fait concurrence au bénévolat. Certaines études montrent que les gens sont plus enclins à s’engager bénévolement s’ils ont déjà été sensibilisés dans le cadre d’un autre engagement altruiste, comme le service civil. Le Service Citoyen vise à consolider une culture de l’engagement et à renforcer la solidarité active.

Quels sont les avantages de votre proposition?

L’esprit de milice se verrait renforcé. L’engagement de chacune et chacun envers et au sein de la société serait mieux reconnu. La cohésion et la solidarité en Suisse, y compris entre les classes sociales, se verraient renforcées: un renouveau du sentiment d’appartenance. Les citoyennes et citoyens se réapproprieraient l’État; les ressources nécessaires seraient mobilisées pour faire face aux défis démographiques et écologiques. L’intégration des femmes leur ouvrirait la voie pour devenir des concitoyennes à part entière; tout étranger aurait, cas échéant, une meilleure chance de s’intégrer.

Quelles impulsions le Service Citoyen pourrait-il donner au débat autour du système de l’obligation de servir, de la milice et du principe d’égalité?

Je n’ai pas besoin d’expliquer à CIVIVA combien de personnes jouent à opposer service militaire contre service civil. Je m’occupe de telles questions depuis des années et je trouve que le débat fait fausse route. En fin de compte, tous deux servent la collectivité. Les gens peuvent être motivés pour une chose ou une autre. Nous voulons une discussion sur l’engagement commun. Nous ne voulons ni affaiblir l’armée, ni le service civil. Notre objectif est de valoriser le fait de s’engager de manière générale. Un engagement est un engagement, qu’il soit civiliste, militaire ou volontaire.

Quelle est la position de ServiceCitoyen.ch sur le durcissement de l’accès au service civil?

Nous avons participé à la procédure de consultation et exprimé nos regrets face aux velléités d’affaiblissement de l’engagement civiliste. Il ne s’agit pas seulement du service civil, de l’armée et de la protection civile – il s’agit d’un engagement qui profite à la société dans son ensemble. C’est pourquoi nous voulons que chacune et chacun rende service à la collectivité et à l’environnement.

Mais comment voyez-vous le durcissement du passage du service militaire au service civil?

Ce que nous pouvons comprendre, c’est qu’il faille éviter qu’un trop grand nombre de personnes ne passent au service civil après une formation réussie à l’école de recrues ou après l’affectation consolidée dans les unités de l’armée.

Mais vous êtes déjà puni pour ça aujourd’hui – avec plus de jours qu’on doit faire dans le service civil!

Les demandes pour entrer au service civil une fois l’ER accomplie sont problématiques pour la planification de l’armée et mettent en danger l’organisation sécuritaire de notre pays. L’armée a investi dans la formation et l’équipement de ces gens: elle compte sur eux. Nous sommes favorables à l’idée de donner plus de choix aux gens dès le départ afin qu’ils puissent s’impliquer selon leurs préférences. Cela permet d’éviter la bureaucratie inutile et l’insécurité dans la planification.

Et comment cela fonctionnerait-il?

Les gens doivent réfléchir soigneusement aux domaines dans lesquels ils veulent s’engager. Après une décision, ils devraient en principe s’y tenir.

Vous parlez de liberté de choix et vous voulez garantir l’existence de l’armée. Toutefois, si 100% d’une cohorte se prononce en faveur d’un service civil, cela ne sera possible qu’avec la coercition de l’État.

Je suis convaincue que cela ne sera pas le cas. Personnellement, je trouve l’armée très attirante; j’ai trouvé plus attrayant de conduire des camions en tant que soldat que de travailler dans une maison de retraite. Je ne comprends pas le débat sur l’attractivité de l’armée, parce que je pense que, si elle faisait un petit effort, l’armée pourrait montrer qu’elle a des choses uniques à offrir. Le sport et les performances mentales sont par exemple un véritable atout dans la vie quotidienne, y compris professionnelle.

Pourquoi le système de milice est-il si cher à votre cœur?

Je pense que le lien entre le citoyen et l’État est quelque chose de précieux. Cela permet aux citoyens d’exercer un contrôle sur l’État. L’État reste ainsi plus confiné et sous le contrôle de ses citoyens, et les motivations de s’engager sont différentes de celles des professionnels; des miliciens sont aussi probablement moins chers que des bureaucrates pour certaines tâches. Le système de milice permet un mélange social et régional, nécessaire à la cohésion. Il contribue à la stabilité des institutions démocratiques. Le système de milice évite d’aliéner les citoyens de la politique et des affaires publiques. Avec la milice, chacune et chacun a la possibilité d’avoir un pied dans l’Etat.

Quels défis collectifs peut relever le Service Citoyen?

Dans le secteur des soins et de l’environnement, en particulier. Si nous ne nous y attaquons pas rapidement, nous aurons d’énormes problèmes et le Service Citoyen offre exactement des moyens et ressources pour relever ces défis.

Mais on entend les opposants au service civil crier: «Vous allez vous promener toute la journée avec des malades atteints de démence et cueillir des fleurs dans la réserve naturelle!»

Quiconque prétend que les soins aux patients atteints de démence sont une promenade de santé ne s’est jamais préoccupé d’un patient atteint de démence auparavant. Cela draine beaucoup d’énergie. C’est un travail éreintant et essentiel pour la sécurité et la stabilité. En tout état, dès lors que le service civil est découplé du service militaire, il pourra s’organiser de manière autonome et optimale pour atteindre ses propres objectifs. Je pense qu’un Service Citoyen serait bénéfique aux tâches d’intérêt public. Bien sûr, vous pouvez critiquer la garantie des effectifs militaires… 

…ça tape vraiment à l’œil!

Mais aujourd’hui, le service civil n’est qu’un service de remplacement. Avec le service citoyen, il devient un service à part entière et gagne une meilleure reconnaissance. Il faut enfin sortir du débat stérile qui dresse l’armée et le service civil l’un contre l’autre. Au lieu de camper sur des positions obsolètes, nous devrions plutôt relever les défis contemporains. Nous visons à améliorer de manière pragmatique, réaliste et consensuelle le système de l’obligation de servir dans le but de valoriser toutes les formes d’engagement.

Noémie Roten est journaliste spécialisée en économie de la santé. Elle est soldate dans l’armée et co-présidente de ServiceCitoyen.ch qui s’engage en faveur du système de milice en Suisse. 

Cette interview a été publiée dans le numéro spécial de décembre 2019 de la revue «Le Monde Civil» de la fédération suisse du service civil, CIVIVA

Photo: VBS/DDPS, CC BY-NC-ND 3.0 CH