Une obligation de servir en crise: faut-il repenser le modèle suisse?

L’obligation de servir est en crise. L’armée semble souffrir d’un manque d’effectifs chronique sur le terrain, elle est confrontée à une baisse de la motivation de ses troupes, à une «fuite» toujours plus importante de ses conscrits vers le service civil et a de la difficulté à pourvoir ses postes de cadres. Stigmatisant les jeunes générations taxées d’indigence morale et assimilant le service civil à une menace pour l’institution militaire, les «analystes» de la commission de la politique de sécurité du Conseil national semblent bien en peine de poser un diagnostic lucide sur les maux dont souffre l’obligation de servir aujourd’hui.

Car au-delà de l’obligation de servir, c’est le système de milice suisse tout entier qui est en crise; système qui a pourtant fait le succès de notre pays pendant des décennies. L’engagement bénévole des citoyens diminue et avec lui la culture de milice dans de nombreux domaines de la vie civile (sapeurs-pompiers, politique communale, associations diverses, etc.). La Suisse risque ainsi de perdre l’une des caractéristiques essentielles de son génie politique entraînant la disparition progressive de son armée de milice. Faut-il dès lors repenser notre modèle? Si oui, comment devons-nous le refonder?

L’armée, un bastion du système de milice

Le service militaire obligatoire est sans doute l’institution suisse dans laquelle l’esprit de milice est le plus perceptible. Selon l’article 58 de la Constitution, l’armée est organisée selon le principe de la milice; principe d’organisation de la vie publique suivant lequel tout citoyen est tenu d’assumer, à titre extra-professionnel ou bénévole, des tâches publiques servant la communauté.

Cette «idée suisse de l’Etat» suppose une participation active des citoyens aux affaires publiques et requiert de leur part une conscience aiguë de leurs responsabilités, ainsi qu’un engagement pour le bien commun (citoyenneté active). De cette manière, naît une forte promiscuité entre l’Etat et les citoyens leur octroyant un contrôle direct des affaires publiques. La vigueur du système de milice, qui se nourrit de la coopération active des citoyens à tous les échelons de la société, assure ainsi le bon fonctionnement de la démocratie directe.

L’obligation de servir constitue une modalité importante du système de milice à laquelle le peuple suisse a maintes fois réitéré son attachement dans les urnes; pourtant, dans les faits, l’engagement milicien décline. Nous essayons de dresser ici un diagnostic crédible des maux dont souffre l’obligation de servir aujourd’hui; diagnostic qui tient en deux causes:

Le déclin du système de milice

En 1997, un Suisse de plus de 15 ans sur deux exerçait une activité à titre extra-professionnel; aujourd’hui cette proportion est tombée à un sur trois. La vie moderne, caractérisée par un mode de vie individualiste, l’érosion des liens sociaux traditionnels et une pression professionnelle accrue entame chaque jour un peu plus le système de milice. En effet, ce modèle d’organisation collectif requiert une certaine disponibilité économique et temporelle des citoyens et il dépend par conséquent de la propension et de la capacité de ces derniers à y participer. Or la disponibilité temporelle des citoyens s’amenuise à mesure que la charge professionnelle augmente, que les femmes intègrent le marché du travail et que notre pays compte une plus grande proportion de résidents étrangers moins enclins à s’engager dans le système de milice.

Un fonctionnement hypocrite

En l’espace de 25 ans, de nombreuses réformes ont affecté l’armée et l’obligation de servir. Suite à une recomposition des équilibres géopolitiques sur le continent et à la diminution de l’effort de défense y relatif, l’armée a considérablement réduit son effectif. Alors que l’armée comptait encore 800’000 hommes au début des années 1990, l’effectif réglementaire est passé progressivement de 400’000 hommes sous Armée 95 à 200’000 hommes sous Armée XXI, pour atteindre aujourd’hui 140’000 hommes avec le DEVA. La baisse de l’effectif a été rendue possible conjointement par l’abaissement de l’âge limite de l’obligation de servir à 34 ans, la diminution du nombre de jours de service à 260 jours, l’abaissement du taux d’aptitude à environ 65% et un passage plus permissif vers le service civil de remplacement. Ces réformes ont atteint leur objectif mais non sans porter préjudice à l’institution de l’obligation de servir.

L’obligation de servir ne s’applique qu’à 40% de la population résidente en Suisse – les hommes de nationalité suisse. Compte tenu d’un taux d’aptitude au recrutement de 66,3% en 2016, seul un jeune sur quatre est finalement désigné pour accomplir un service militaire. D’une part, cette discrimination fondée sur le sexe ne se justifie plus à notre époque, la répartition traditionnelle des rôles étant devenue obsolète. D’autre part, l’exemption de service passant pour la règle et le service pour l’exception, la minorité appelée à servir souffre dans la vie civile d’une distorsion de la concurrence sur le marché du travail au profit de la majorité n’effectuant pas de service (les femmes, les étrangers résidents permanents et les hommes suisses déclarés inaptes au service). Selon une motion pendante au Conseil des Etats, les militaires admis au service civil pourraient être pénalisés en fonction du nombre de jours de service déjà effectués. Cela ne ferait qu’accroître l’inégalité de traitement entre ceux qui pourraient être amenés à effectuer jusqu’à 455 jours de service et la grande majorité de leurs concitoyens qui n’en effectueront pas un seul.

Le recours au taux d’aptitude comme variable d’ajustement de l’effectif dénature la notion d’aptitude et constitue une entorse au principe d’équité. Percevant un mode de recrutement arbitraire et inéquitable, de nombreux jeunes astreints au service militaire cherchent à se soustraire à leurs obligations en simulant une mauvaise santé. Comble de l’ironie, l’armée voit d’un bon œil ceux dont la santé semble se détériorer à l’approche du recrutement puisqu’elle ne pourrait de toute façon pas inclure tous les jeunes en âge de servir.

Le mode d’accès au service civil est fondé sur une objection de conscience aujourd’hui largement dévoyée. Pour être admis au service civil, les candidats doivent déclarer un conflit de conscience – un euphémisme pour objection de conscience – et le démontrer au moyen de la preuve par l’acte. Alors qu’on dénombrait environ 600 cas d’objection de conscience en 1990, pas moins de 6’000 personnes ont été admises au service civil en 2016. A l’évidence, d’autres motivations que l’objection de conscience entrent dorénavant en ligne de compte. Celles-ci n’étant pas officiellement reconnues, les militaires dissimulent leurs motivations réelles et l’affaire est conclue.

Enfin, ce modèle barre l’accès au service civil pour les Suissesses volontaires. En effet, le service civil n’est accessible qu’aux personnes déclarées aptes au service militaire. Or les femmes n’accèdent au service militaire que sur une base volontaire. Pour être admise au service civil, une femme devrait dans un premier temps se porter volontaire au service militaire avant de déclarer qu’elle ne peut pas concilier le service militaire avec sa conscience… ce qui est contradictoire. En conséquence, les femmes n’ont pas accès au service civil, même sur une base volontaire.

Le statu quo n’est pas tenable: comment sortir de l’impasse?

Le statu quo est synonyme d’aggravation de la crise de l’obligation de servir. Au niveau de la société, si rien n’est entrepris, le déclin du système de milice se poursuivra inexorablement entravant toujours davantage l’exercice d’une activité de milice. Au niveau du régime de l’obligation de servir, le maintien d’un système hypocrite achèvera de décrédibiliser l’institution. La conjonction de ces deux facteurs nous obligera, tôt ou tard, à remettre en question l’idéal d’une armée de milice.

Il faut dès lors réfléchir à un nouveau modèle qui tienne compte des développements sociétaux. En quoi devrait consister ce contre-modèle? Au fond, quelle société voulons-nous?

Proposition d’Avenir Suisse pour l’instauration d’un service citoyen universel

Partant du principe que le système de milice est le principe d’organisation collectif qui convient le plus à la Suisse et constatant son déclin dans la société actuelle, Avenir Suisse propose de réfléchir à la possibilité d’instaurer un service citoyen universel, en remplacement de l’obligation de servir actuelle. Le service citoyen se caractériserait de la façon suivante:

  • remplacement de l’obligation de servir militaire par un service citoyen universel
  • extension des domaines de service: service militaire (uniquement pour les citoyens suisses), service de protection civile, service à la communauté, opérations à l’étranger
  • inclusion de tous les Suisses, les Suissesses ainsi que les étrangers résidents permanents
  • durée: 200 à 260 jours selon les types de service
  • période: de 20 à 45 ans ou de 20 à 70 ans

Un tel service aurait l’avantage de donner un nouveau souffle à l’esprit de milice tout en tenant compte des changements sociétaux. En outre, il permettrait de contrer les problèmes d’effectifs que rencontre l’armée suisse sur le terrain en étendant considérablement le bassin de recrutement et en lui permettant de sélectionner les meilleurs profils.

Cet article est paru dans la Revue Militaire Suisse, Nr. 5, le 15 septembre 2017, et dans l’édition de septembre du magazine Le Nouveau Genevois, ainsi que sur le site avenirsuisse.ch, le 19 septembre 2017

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Le service militaire obligatoire est sans doute l’institution suisse dans laquelle l’esprit de milice est le plus perceptible
Photo: VBS/DDPS, CC BY-NC-ND 3.0 CH

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