Noémie Roten est journaliste et économiste. Elle est la correspondante de Heidi.news à Zurich. Quentin Louis Adler est avocat. Ils sont les co-présidents de l’Association servicecitoyen.ch et cosignent cette tribune.
Octobre 2021
En 1903, le Conseil fédéral est saisi d’une première pétition pour introduire un service civil en remplacement du service militaire obligatoire. Un souffle au nom de la liberté de croyance et de conscience, ainsi que des aspirations pacifistes d’une partie de l’éthique chrétienne. Un souffle cadencé – courageux ou parfois téméraire – qui se poursuivra sans relâche, alors que l’objection de conscience était criminalisée et sévèrement sanctionnée.
Ce n’est que deux guerres mondiales, une guerre froide et bien des condamnations plus tard que, le 2 juin 1991, le peuple suisse accepte la réforme «Barras» qui remplacera la prison par des travaux d’intérêt public.
Une initiative populaire s’ensuit prestement, acceptée à 82,5% par le peuple: le système constitutionnel de l’obligation de servir est réformé. Le service civil voit donc le jour il y a 25 ans jour pour jour, le 1er octobre 1996, en tant qu’engagement de remplacement à l’armée obligatoire pour les objecteurs de conscience.
Le service civil dans sa forme contemporaine gagne en popularité. En 2006, pour les 10 ans de l’institution, Doris Leuthard a le ton de l’éloge: le service civil est «un instrument important pour combler certaines des lacunes existant dans le tissu social et écologique de notre pays»; un «contre-modèle» à «l’individualisme et l’hédonisme» de l’air du temps; «accomplir un service civil est une démarche qui a un sens», un pari sur la «solidarité active, [le] sens communautaire vécu […]».
Sous tutelle de l’institution militaire.
Pourtant, sur le plan formel, le service civil n’a qu’une fonction de service de remplacement, que certaines mauvaises langues réduisent parfois, avec plus ou moins d’ironie, à de la Beschäftigungstherapie (thérapie par l’occupation).
En effet, l’organisation du service civil est entièrement subordonnée à celle du service militaire. Elle n’a pas d’autonomie constitutionnelle pour poursuivre de manière optimale les objectifs d’intérêt public ambitieux qui lui sont propres: renforcer la cohésion sociale, mettre sur pied des structures en faveur de la paix et réduire le potentiel de violence, sauvegarder et protéger le milieu naturel et favoriser le développement durable, conserver le patrimoine culturel et soutenir la formation et l’éducation scolaires (cf. art. 3a LSC).
De même, les effectifs pour accomplir un service civil dépendent des effectifs militaires. Dans le système actuel, il faut être jugé apte au service militaire et rejoindre ainsi l’armée, puis actionner une procédure d’objection de conscience pour la quitter et rejoindre les rangs du service civil d’une durée 1,5 fois supérieure au service militaire (preuve par l’acte). Pour les hommes jugés inaptes, ce processus est discriminatoire; pour les femmes, il est kafkaïen.
Le service civil doit devenir autonome.
Pour pallier les manquements du système actuel, notre association veut lancer une initiative populaire fédérale pour l’introduction d’un service citoyen en Suisse. Dans ce cadre, chacune et chacun accomplit – une fois dans sa vie – un engagement de milice au bénéfice de la collectivité et de l’environnement. Qu’il soit de nature militaire ou civile, chaque engagement est considéré de valeur équivalente (rien de plus logique au vu des nouveaux dangers auxquels nous faisons face). Ainsi:
- La voie d’engagement dans le service civil sera ouverte dès le recrutement, sans se subordonner aux critères (de conscience ou d’aptitude) du service militaire. Ce qui évite la bureaucratie actuelle, inutile et discriminante (notamment envers les personnes inaptes, les femmes et les étrangers).
- Le service civil pourra se libérer de sa tutelle et poursuivre ses propres objectifs de manière autonome.
Un nouveau rayon d’action.
Je ne vois pas cela comme plus d’obligations ou de contrainte. Il s’agit d’un engagement de principe pour tous,
Au-delà de l’obligation de servir, l’institution du service civil (CIVI) pourra ainsi se positionner comme pôle de capacités et de compétences pour l’engagement social et environnemental au niveau fédéral, ouvrant de nouveaux champs des possibles (par exemple proposer des engagements sur base volontaire, soutenir la réinsertion professionnelle, etc.).
Au vu des défis d’ordre démographique, climatique et de perte de biodiversité auxquels nous faisons face, c’est dans les domaines de l’écologie et des soins que le service civil a le plus grand potentiel. Aujourd’hui, seuls 9,4% des jours de service civil sont effectués dans le domaine de la protection de l’environnement et de la nature, 3,7% dans l’agriculture (voir le graphique ci-dessous).
À la différence de l’armée (fédérale) et de la protection civile (cantonale), le service civil permet d’agir de manière décentralisée, à l’échelon individuel et local (principe de subsidiarité). Que ce soit dans la re-naturalisation des espaces, l’agroécologie (moins de mécanisation et de pesticides), l’atténuation des risques (sociaux, logistiques, infrastructurels, etc.), la capacité de faire face aux conséquences (canicules et stresses hydriques, immigration, etc.) ou la coopération au développement et à l’aide humanitaire internationales. Ce qui ouvre, avec un peu de volonté politique, d’autres façons de gérer les crises – par exemple sanitaires, à tout hasard.
Renforcer le service civil dans le cadre d’un service citoyen pour toutes et tous, c’est reconnaître la valeur de tout engagement et d’offrir à chacune et chacun des capacités d’action et de résilience face aux périls de notre temps.
Meilleurs vœux pour la suite.
«Les temps changent et nous changeons avec eux», citait Doris Leuthard dans son discours de 2006. Cet adage latin reste vrai en 2021, et le restera demain.
Ce vendredi 1er octobre 2021, le service civil fête ses 25 ans. S’il atteint désormais l’âge adulte et fait ses preuves, il reste toutefois sous la tutelle étouffante du père, l’institution militaire.
Il est temps de lui laisser prendre son autonomie pour déployer son plein potentiel au bénéfice de la collectivité et de l’environnement. À cet effet, une réforme du système de l’obligation de servir est nécessaire sur le plan constitutionnel. Un modèle «service citoyen» sera le meilleur avenir immédiat du service civil, et ouvrira de nouveaux champs des possibles. C’est ce que nous souhaitons au service civil pour les 25 prochaines années!
Noémie Roten est journaliste et économiste. Elle est la correspondante de Heidi.news à Zurich. Quentin Louis Adler est avocat. Ils sont les co-présidents de l’Association servicecitoyen.ch et cosignent cette tribune.
Cette tribune a été publiée le 01 octobre 2021 dans la section idées de heidi.news.